Mutations #4 : retrouver le sens du progrès

8 Fév 2024 | Actualités, Mutations

Nos ancêtres ont longtemps vécu dans une économie stagnante et circulaire. L’aspiration à une vie meilleure était l’apanage des religions. L’idée de progrès émerge seulement au XVIIIe siècle, quand les religions perdent du terrain, et quand les améliorations techniques commencent à accélérer. Elle s’affirme au XIXe siècle. Pour Auguste Compte, elle est même au centre de l’histoire.

Un double mouvement s’enclenche alors. Le progrès est d’abord technique. Dans ses romans, Jules Vernes témoigne d’une foi immense dans les possibilités d’amélioration de la vie humaine. Mais ce progrès ne saurait être que technique. En France, la première loi sociale est votée en 1841, suite au rapport du médecin Louis-René Villermé sur « l’état physique et moral des ouvriers » employés dans les usines de textile. Elle interdit le travail des enfants… de moins de huit ans. Pour travailler à l’usine ou dans la mine, il faut des femmes et des hommes correctement nourris, en bonne santé. Les dispensaires apparaissent. Bientôt, il faudra aussi des enfants qui savent lire et écrire. L’école est rendue obligatoire. Bientôt aussi, début 1914, Henry Ford double les salaires en réduisant le temps de travail. Non pour que ses salariés puisent acheter ses voitures, comme on l’a souvent raconté. Mais parce que sa chaine de montage ouverte quelques années plus tôt requiert un travail beaucoup plus intensif. Une intensification qui débouche sur de formidables gains de productivité, mais aussi sur un effroyable turn over – les ouvriers restent en moyenne trois mois. Voilà pourquoi l’archétype du capitaliste américain a pris des mesures favorables à ses employés. Pas de progrès technique sans progrès social !

Cette crémaillère vertueuse sera au coeur des Trente Glorieuses en France, avec une productivité en hausse, des augmentations de salaires (parfois obtenues à la suite de longs conflits sociaux) et un temps de travail en diminution. Mais ensuite, quelque chose s’est cassé. Les pays riches ont pris conscience des retombées négatives de la production industrielle, comme les émissions de gaz à effet de serre ou la dégradation des paysages. Depuis le choc pétrolier de 1973, les entreprises ont licencié en masse. Les salariés disent de plus en plus souvent ressentir une intensification du travail. La confiance dans le progrès technique et social se délite, voire disparaît, en particulier en France.

Ce délitement de la confiance est lourd de conséquences. Sur le versant technique, un exemple spectaculaire est le vaccin. Dans le pays où Pasteur a découvert le vaccin contre la rage,33% des habitants rejetaient, avant l’épidémie de Covid-19, l’idée que les vaccins sont sûrs. La proportion la plus élevée parmi les 144 pays sondés par l’institut Gallup pour la Fondation Wellcome !

La perte de foi dans le progrès médical explique en partie que les vaccins anti-Covid-19 ont été inventés hors de France (dans des entreprises souvent dirigées par des Français, comme Moderna ou Astra Zeneca). Elle a aussi compliqué la campagne de vaccination contre le Covid-19 en France, poussant les pouvoirs publics à prendre des mesures portant atteinte à la liberté. Un autre cas est le nucléaire. C’est l’exemple d’un progrès qui peut être négatif ou positif. Négatif quand il débouche sur la bombe atomique (ce que rappelait récemment le film « Oppenheimer »), positif quand il permet une production à grande échelle d’électricité décarbonée. Et pourtant… un Français sur deux est convaincu que le nucléaire produit une électricité carbonée. Sur le versant social, les effets du délitement font partie du quotidien des entreprises. Grande démission ou démission silencieuse, quête effrénée de sens, exigences perçues comme extravagantes des jeunes recrues, ressenti d’intensification des tâches, doublement des arrêts maladie en une décennie : la notion même de progrès semble s’être évaporée. Or sans la boussole du progrès, nous sommes perdus. C’est pourquoi il est essentiel de retrouver le sens de ce progrès.

Retrouver le sens du progrès est une ardente nécessitée, pour les entreprises comme pour les pays. Et pour s’épanouir à nouveau, ce progrès devra être tout à la fois technique, social, organisationnel. Et partagé par le plus grand nombre.

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