Sociologue et philosophe, la normalienne Dominique Méda, directrice de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO) de l’université Paris-Dauphine, nous confie sa vision du progrès dans les relations au travail.
Vous avez beaucoup écrit sur la valeur du travail. A-t-elle la même acception aujourd’hui qu’en l’an 2000 ?
Il y a tout un discours aujourd’hui qui soutient que la « valeur travail » serait en déclin dans notre société. Le discours était déjà bien installé il y a une vingtaine d’années mais sans doute de façon moins intense qu’aujourd’hui. Pourtant, selon les enquêtes, en 2017 comme en 1999, les Français continuent à être parmi les plus nombreux en Europe à indiquer que le travail est très important pour eux. Les attentes qu’ils placent sur le travail sont immenses : ils souhaitent
- les jeunes plus encore que les autres
- un travail intéressant, une bonne ambiance de travail et un bon salaire.
Sur le travail, les points de vue divergent traditionnellement entre le clan qui affirme que la « valeur travail » est un principe de droite, face à celui qui revendique le travail comme vecteur d’épanouissement. Existe-t-il une troisième voie pour sortir de ce dualisme ?
Je pense que nous devrions ne plus utiliser ce terme de valeur travail. Les Français sont très attachés au travail mais ils éprouvent de fortes difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; pour beaucoup d’entre eux, les conditions de travail sont devenues insoutenables. La troisième voie c’est le travail décent, qui contribue à la fois à l’épanouissement, l’émancipation et la construction de la société.
Comment définiriez-vous « le progrès dans les relations au travail » ?
Il est temps de rééquilibrer les rapports de pouvoir au sein de l’entreprise. Les salariés français sont en Europe les moins consultés sur les décisions qui concernent leur travail. L’Allemagne et les pays nordiques se caractérisent par une forte présence de la co-détermination. Nous ferions bien de nous en inspirer.
Les entreprises peuvent-elles favoriser le progrès au sein de leur organisation sans contraindre la productivité responsable ?
Oui et je pense que c’est une nécessité pour elles comme pour les salariés. Comment ?
En rendant l’entreprise moins hiérarchique, le management moins fondé sur le diplôme et les chiffres, en instaurant des espaces de discussion sur le travail, en renforçant la représentation des salariés à la fois à la base et dans les conseils d’administration. En travaillant à rendre nos organisations du travail « apprenantes » comme dans les pays du Nord, car c’est le secret de l’efficacité.