Mutations #4 : l’entreprise, lieu d’innovation collective

16 Fév 2024 | Actualités, Mutations

Sociologue et politologue française, membre honoraire du Conseil Constitutionnel, directrice d’études à l’EHESS, Dominique Schnapper est l’auteure de nombreux ouvrages sur la citoyenneté, l’évolution de la démocratie
et le sens du travail dans les sociétés démocratiques contemporaines. Interview par Bernard Cohen-Hadad, Président de la CPME Paris Île-de-France.

Le sens des expressions change avec le temps. De manière générale, il s’agit toujours d’améliorer les conditions de travail et de contribuer au succès de l’entreprise. Mais l’intérêt des entreprises doit être redéfini en fonction de la transformation constante de la situation économique. Du côté des salariés, les aspirations se modifient. Leurs demandes se diversifient. De plus en plus de jeunes ne souhaitent pas seulement travailler pour assurer leurs conditions matérielles d’existence, ils entendent aussi partager un projet qui ait un sens. Certains trouvent ce sens en obtenant de gros salaires, d’autres en jugeant que leur activité contribue à améliorer la condition des hommes. Toutefois, n’oublions pas que beaucoup d’emplois continuent à être durs et mal payés, le confinement a révélé combien ces derniers étaient nécessaires pour assurer nos conditions de vie.

Nos sociétés sont organisées autour du travail, source essentielle du lien social, qui permet de « faire société ». Pendant la pandémie, le télétravail s’est développé avec ses avantages évidents à court terme : économie de fatigue par les transports, plus de liberté pour organiser le lieu et le rythme de travail pour les salariés, économie des charges immobilières pour l’entreprise.

Mais maintenant que nous sommes sortis de ce télétravail imposé, beaucoup de responsables sont sensibles aux risques qu’entraîne la dispersion de leurs collaborateurs. L’entreprise doit rester un lieu d’innovation collective et le collectif doit réunir des personnes en « présentiel » comme on dit. Les relations entre les personnes ne sont pas les mêmes quand elles sont médiatisées par des écrans. Il ne faut pas négliger les apports des discussions informelles dans le processus d’innovation qui est la condition du développement d’une entreprise.

On peut évoquer à cet égard le rôle de la fameuse machine à café pour entretenir des échanges qui peuvent être fructueux pour l’innovation de l’entreprise ! Aussi des contrats post-Covid-19 limitent le nombre de journées de télétravail et les responsables ont le souci de réunir régulièrement l’ensemble des collaborateurs.

Toutes les entreprises, quelles que soient leurs tailles, dans une société démocratique, doivent tenir compte des conditions de travail, de l’aspiration des individus à une certaine qualité de vie et donner à leurs collaborateurs le sentiment qu’ils travaillent ensemble à un projet commun. On ne peut plus s’en tenir à la formule de l’autorité qui se justifie par elle-même, du style « Il faut le faire parce que le patron l’a dit », sans aspirations démocratiques de ses membres, ne peut céder à tous les excès. Elle doit conserver une forme d’organisation et une certaine autorité pour que le collectif reste efficace et que l’entreprise puisse se développer.

L’entreprise est en prise avec le réel – faute de quoi elle sombre. Cela l’empêche de délirer comme le font certains penseurs du wokisme qui remplacent la réalité par leur idéologie sans rencontrer de résistance autre qu’intellectuelle. L’action de l’entreprise conteste donc par sa pratique le refus de la réalité qui est commun à tous les courants du wokisme par-delà leurs différences. Mais les wokistes souhaitent-ils participer à des entreprises étant donné leur idéologie, radicalement hostile à tout ce qui caractérise le monde démocratique, donc aussi à l’entreprise ?

Les générations successives de migrants se sont effectivement intégrées dans toutes les sociétés d’immigration, la France comme les Etats-Unis, par l’intermédiaire de l’emploi avant que leurs politiques, la démocratie « extrême », dans laquelle les excès, non contrôlés, des aspirations à une liberté et une égalité sans limites risquent de remettre en question les principes démocratiques eux-mêmes. Ce risque existe dans tous les domaines de la vie. Mais l’entreprise, si elle doit tenir compte des descendants soient intégrés par l’école et, ensuite, aussi par l’emploi. Le travail dans nos sociétés est ce qu’on a appelé le Grand Intégrateur. Il faut souhaiter pour le bien de tous que l’emploi continue à jouer ce rôle, ce sera bénéfique pour les populations elles- mêmes et pour la collectivité.

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