Sur la piste de l’emploi des jeunes

21 Juin 2022 | Dossiers, Mutations, Non classé, RH

Pour le sociologue Marc Loriol, ce ne sont pas tant les jeunes qui ont changé mais bien le travail. Dans ce contexte, leur intégration au sein de l’entreprise passe avant tout par le collectif de travail, un élément essentiel au sein des TPE-PME.

QUELS SONT LES GRANDS ENSEIGNEMENTS DE VOTRE ÉTUDE SUR LE RAPPORT AU TRAVAIL ET LES ASPIRATIONS DE CETTE GÉNÉRATION ?

Dans les années soixante-dix, on tenait un discours assez proche du discours actuel consistant à dire que les jeunes étaient rétifs à l’autorité, moins investis. Si le discours est ancien, le travail évolue, les jeunes sont confrontés à des périodes de précarité plus longues avant de trouver un emploi stable. À cela s’ajoute une idée reçue, celle de devoir changer plusieurs fois d’emploi dans sa carrière. Statistiquement, ce n’est pas encore le cas, c’est plutôt du domaine de la prospective. L’insertion professionnelle se fait par le biais du collectif de travail. Ce sont les personnes réalisant la même activité, définissant de manière informelle ou formelle les règles d’intégration des nouveaux entrants, transmettant les valeurs, les règles sur l’investissement, la qualité du travail à réaliser. Les jeunes en apprentissage apprennent, aux côtés d’un maître et de collègues plus expérimentés, le goût, la rigueur, le métier. Une collègue a mené une étude dans les TPE, notamment auprès des boulangers et des bouchers. Si les boulangers ont réussi à préserver la qualité de leurs produits, les bouchers indépendants ont eu plus de mal à résister à la concurrence des grandes surfaces. Il en résulte pour les apprentis un investissement différent, et ce malgré des conditions de travail tout aussi difficiles. Les apprentis boulangers acceptent ces conditions, car ils pensent à la reconnaissance et aux possibilités d’évolution dans leur métier. Les apprentis bouchers préfèrent se diriger vers les grandes surfaces, qui leur offrent de meilleures conditions de travail.

RECHERCHE DE SENS, D’UN MEILLEUR ÉQUILIBRE VIE PROFESSIONNELLE/VIE PRIVÉE ET RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT FONT-ILS PARTIE DES GRANDES VALEURS PARTAGÉES PAR CES JEUNES ?

Je souscris partiellement à cette idée. Si l’on regarde la génération 2004-2020, on constate très peu de différences avec les générations antérieures. Elle valorise un peu plus la vie privée, mais tout autant le travail. Elle voudrait s’épanouir dans le travail, mais pas seulement. On peut y voir un effet des situations de précarité auxquelles elle est confrontée qui durent plus longtemps que les précédentes parce que le projet est plus long à construire. Quand le travail ne garantit plus cet épanouissement, on voudrait avoir d’autres sources de réalisation de soi, par sécurité.

Une étude de Fabien Truong, menée auprès de jeunes diplômés de milieux populaires entrés en école de commerce, montre qu’à l’origine ces jeunes sont arrivés avec de meilleurs résultats scolaires. Mais ils se sont retrouvés dans un univers où le travail était moins valorisé que le réseautage, l’échange de services, etc. Ils sont ressortis de l’école avec un capital social moindre que celui des élèves dont les familles disposent des codes et des réseaux. Certains d’entre eux se sont alors tournés vers les métiers du social, pour donner un sens à leur engagement professionnel.

LE RAPPORT DES JEUNES AU TRAVAIL EST-IL DIFFÉRENT DANS LES TPE ET PME ?

Il est plus direct et apaisé dans les TPE. Dans un rapport réalisé avec Deede Sall en 2013, nous avions parlé du paradoxe des TPE : les conditions de travail et d’emploi sont souvent moins bonnes que dans les grandes entreprises, mais les gens se plaignent moins du stress, se sentent mieux. Le rôle des relations humaines et sociales est essentiel. Souvent les recrutements se réalisent par interconnaissance, ce qui crée un type de relation particulier, une certaine proximité. On partage des valeurs, une conception du travail, le salarié se sent redevable de la personne qui lui a permis d’entrer dans l’entreprise. A contrario, quand des conflits surviennent, les salariés quittent l’entreprise.

COMMENT L’ENTREPRISE PEUT-ELLE ASSURER UNE BONNE INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES ?

Pour fidéliser les salariés, il ne s’agit pas de clamer des valeurs sociales, environnementales, mais de créer un climat où les jeunes et les salariés plus anciens peuvent être en confiance, les uns avec les autres. Dans des collectifs de travail stables, les échanges entre les jeunes et les plus anciens sont plus fructueux : les premiers apportent leur connaissance des nouvelles techniques, les seconds partagent leurs astuces, leurs expériences, transmettent le métier et ses valeurs. Cette ambiance positive et constructive permet aux jeunes de de comprendre l’intérêt et la complexité du métier.

UN COLLECTIF DE TRAVAIL, CE SONT LES PERSONNES RÉALISANT LA MÊME ACTIVITÉ, DÉFINISSANT DE MANIÈRE INFORMELLE OU FORMELLE LES RÈGLES D’INTÉGRATION DES NOUVEAUX ENTRANTS, TRANSMETTANT LES VALEURS, LES RÈGLES SUR L’INVESTISSEMENT, LA QUALITÉ DU TRAVAIL À RÉALISER.

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Ces articles sont issus du premier numéro de Mutations économiques, politiques et sociales, le magazine de la CPME Paris. Pour retrouver le magazine complet, cliquez ici.

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