#COVID19 | Entreprise fermée, faut-il payer son loyer ?

29 Mai 2020 | #COVID19, Actualités, Dossiers, Économie

L’arrêté du 15 mars 2020 puis un décret du 23 mars suivant prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ont édicté l’interdiction pour un certain nombre d’établissements de recevoir du public et pour d’autres de limiter drastiquement leur activité.

Ces mesures peuvent-elles permettre aux locataires commerciaux de ne pas payer leur loyer ?

Les entreprises recevant du public, selon leur secteur d’activité, ont été contraintes, selon les cas, soit de cesser toute activité (I), soit ces mesures ont impacté de manière très importante l’activité (II).

I. En cas de fermeture par arrêté administratif

L’article 8 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 dispose qu’à compter de la décision de confinement, les catégories d’établissements suivantes ne peuvent plus accueillir du public :

  • Les salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple, sauf les salles d’audience des juridictions ;
  • Les magasins de vente et les centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ;
  • Les restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le « room service » des restaurants et bars d’hôtels et la restauration collective sous contrat ;
  • Les salles de danse, discothèques, salles de jeux, cinémas ;
  • Les bibliothèques, centres de documentation ;
  • Les salles d’expositions ;
  • Les établissements sportifs couverts ;
  • Les musées ;
  • Les chapiteaux, tentes et structures ;
  • Les établissements de plein air ;
  • Les établissements d’éveil, d’enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement ;
  • Les marchés, sauf dérogations préfectorales.

Du fait de cette interdiction, un grand nombre d’entreprises ont dû cesser leur activité et n’ont pas utilisé leurs locaux.

L’article 1719 du Code Civil dispose que le bailleur doit délivrer au preneur la chose louée et pendant le cours du bail, doit en faire jouir paisiblement celui-ci.

L’article 1220 du Code Civil prévoit, quant à lui, que :
« Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son co-contractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle.
Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Dans le cas qui nous occupe, il est manifeste que le locataire ne peut formuler aucun reproche au propriétaire, la décision de fermeture ne lui étant pas imputable, mais il est également certain que le locataire a subi une privation totale de jouissance qui ne lui est pas non plus imputable.

Dès lors, même si nous ne disposons évidemment pas du recul nécessaire permettant de connaître la position des Tribunaux sur de telles demandes, il nous semble que le locataire peut avec de bonnes chances de succès utiliser cette exception d’inexécution pour ne pas régler son loyer pendant la période de fermeture administrative.

Pour satisfaire aux conditions de l’article 1220 du Code Civil, il devra en premier lieu et le plus rapidement possible, adresser une lettre recommandée AR à son bailleur afin de lui exposer sa position.

Si le bailleur ne partage pas l’avis du locataire, ce serait bien entendu au Tribunal de trancher dans le cadre d’une action engagée par l’une ou l’autre des parties.

II. Ouverture autorisée mais activité au ralenti

Un certain nombre d’établissements recevant du public ont pu rester ouverts depuis le 16 mars 2020, sont concernés :

  • les commerces présentant un caractère indispensable : les commerces alimentaires, pharmacies, banques, stations-services ou de distribution de la presse ;
  • les services publics ;
  • les services assurant les services de transport ;
  • garages automobiles, centres de contrôle technique, commerces d’ordinateurs, cavistes, quincailleries, bureaux de tabac, commerces de cigarette électronique, commerces d’aliments et fournitures pour les animaux de compagnie, blanchisseries-teintureries, commerces de tissus, textiles, fils et autres articles de couture…

Néanmoins, ces commerces ont subi, pour la plupart, une baisse importante de leur chiffre d’affaires qui va durablement fragiliser leur exploitation pendant les mois à venir.

Bien entendu, la même argumentation ne peut pas être utilisée par rapport au bailleur puisque le locataire a continué à utiliser les lieux loués.

Néanmoins, d’autres mécanismes juridiques peuvent être utilisés, notamment pour les entreprises se trouvant dans une situation de baisse extrêmement importante du chiffre d’affaires.

Même si la voie est étroite, la crise du Coronavirus pourrait être considérée par les Tribunaux comme étant un cas de force majeure.

L’article 1218 du Code Civil dispose :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue (…) »

Bien entendu, le locataire devra établir non pas que le paiement des loyers a été rendu extrêmement difficile du fait de la crise, mais qu’il lui a été totalement impossible de payer les loyers.

Cela impliquera pour l’entreprise d’établir non seulement une diminution extrêmement importante de son chiffre d’affaires mais également de prouver qu’elle ne disposait pas de la trésorerie nécessaire permettant d’assumer ses obligations, ou encore que le prêt garanti par l’Etat ne lui a pas été accordé.

Il est vrai que la manière dont les Tribunaux n’ont par le passé pas fait droit à de telles demandes, n’incite pas à un optimisme forcené mais il est également certain que notre pays n’a jamais été confronté à une crise d’une telle ampleur et cette démarche mérite très certainement, pour des entreprises en grande difficulté, d’être tentée.

Il sera également possible, à l’occasion d’une telle démarche judiciaire, de solliciter du juge si celui-ci ne fait pas droit à cette demande de se voir accorder des délais de paiement ou un report de paiement qui, par application de l’article 1343-5 du Code Civil , peut atteindre 24 mois.

Auteur

Stéphane FRIEDMANN
Avocat au Barreau de Paris
https://www.siksous-friedmann.com

Article publié en premier sur Village-Justice et publié ici avec le consentement des auteurs.

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